A virus, virus et demi !
Au début, personne n’avait rien vu venir. Confinement pour
tous, aux armes, citoyens, un pour tous, tous pour un ! Bon, le français
est récalcitrant, il avait bien fallu sévir : dès le 20 mars, durcissement
des sanctions et même six mois de prison à la quatrième récidive. Ah, on allait
voir ce qu’on allait voir : tout le monde allait rentrer dans le rang et
donner au « vivre ensemble » un côté « oui, mais chacun chez soi »
dont chacun aurait pu penser tout de suite qu’il sonnait comme une faille dans
l’édifice. Bien sûr, on nous avait annoncé que, pour le seul dimanche 22 mars,
près de 100 000 contraventions avaient été dressées pour non-respect du
confinement. Indignation générale, réprimande nationale, durcissement des
conditions de sortie dès le lendemain : tout semblait normal.
Quelques voix, timides, s’étaient bien élevées pour dire :
quid des « banlieues » ? Toujours en retard d’un train
historique, les belles âmes avaient pris les devants en dénonçant la « morgue
raciste » avec laquelle les néo-fachistes allaient encore trouver à redire
au manque total de respect du confinement dans les quartiers dits « populaires ».
Mais le peuple n’habitait pas dans ces quartiers mal nommés. Et mal connus. Territoires
perdus de la République : l’expression avait presque 20 ans.
La réalité n’avait
pas pris une ride : non seulement les journalistes, par idéologie ou par
crainte, n’avaient pas rendu compte de ce qui se passait vraiment dans les
banlieues mais les forces de l’ordre elles-mêmes avaient renoncé à intervenir.
Les caillassages étaient systématiques. Qui pouvait faire respecter le
confinement dans des endroits où on ne parvenait déjà pas, auparavant, à faire
respecter l’ordre républicain ? Les contraventions, personne ne les
paierait, évidemment. En garde à vue ? Avec le coronavirus et la promiscuité
dans les cellules et les tribunaux fermés, vous n’y pensez pas ! Les sanctions
avaient été durcies mais leur application était restée tout aussi théorique que
ces peines de prison dont les banlieues savaient bien qu’elles n’étaient jamais
accomplies, faute de places.
Les banlieues n’avaient peur de rien. Même pas du virus, au
mois de mars : « encore un coup du Mossad et des américains, en tous
cas un gros fake pour nous empêcher de tourner en rond par islamophobie
primaire », pensaient en termes moins riches la plupart des survêtements à
casquettes qu’on appelait les « jeunes ». Et comme ils avaient bien
retenu que le virus ne tuait que les « vieux », c’était cool. Eux, l’économie
de guerre, ils connaissaient très bien : ils la pratiquaient activement depuis
40 ans. Le trafic de drogue faisait vivre les quartiers dits populaires et tous
les gouvernements avaient échoué à donner aux banlieues un autre moteur
économique.
Avec une France confinée, des flics malades et les « gestes
barrière », les « jeunes » avaient d’abord sauté de joie.
Quartier libre ! Sur les réseaux dits « sociaux », les plus créatifs s’étaient
même habillés de combinaisons blanches (appropriation culturelle ?) et de
masques volés pour inciter leurs clients à rejoindre leur « cartel »,
tranquilles qu’ils se pensaient comme un narco colombien au milieu de la forêt.
Mais l’économie, c’est l’économie, même en guerre : pas d’argent sans
clients. Et, comme dans tous les secteurs, le chiffre d’affaires du marché de
la drogue avait baissé de 80 % en quelques jours. Parmi les journalistes français,
pourtant souvent si prompts à s’enfiler une petite ligne, aucun ne semblait s’être
posé la question du devenir des dealers. Ni des junkies confinés.
Début avril, les règlements de compte avaient gagné en
intensité. Les forces de l’ordre avaient rapidement mesuré l’ampleur du
phénomène mais de loin : en haut lieu, on avait finalement choisi de ne
pas choisir et considérer que si les quartiers étaient hostiles à la
République, ils se confinaient de fait tout seuls et on allait peut-être bien
pouvoir s’en sortir comme ça pour sauver un « vivre ensemble » que le
virus semblait avoir dynamiter de l’intérieur. Les quartiers étaient donc « entourés »
mais pas contrôlés : la poussière sous le tapis pouvait s’accumuler.
Le 15 avril, alors que le pic de l’épidémie aurait du être
atteint et que le nombre de contaminés et d’hospitalisations augmentait avec
une constance désespérante, le gouvernement fut obligé de se fendre d’une mise
au point et de révéler les chiffres. L’épidémie était contenue sur 80 % du
territoire où les cas de nouvelles contaminations devenaient rares. L’essentiel
des nouveaux cas provenaient des banlieues avec un retard d’un mois sur le
reste de la population et avec un taux de contamination bien supérieur à celui
qu’on avait connu ailleurs. Poursuivre le confinement national était
impensable. Comment faire accepter davantage de sacrifices aux Français parce
que les moins français d’entre eux s’étaient comportés comme des étrangers au
sort de la Nation ?
Dynamitant 40 ans de discours autour du « vivre
ensemble », le président de la République annonça la levée du confinement
national et l’instauration du confinement des quartiers désormais « hypersensibles »
avec le soutien de l’armée. Sans ces liasses de billets qui, hier, sur Instagram
leur permettaient d’afficher leur « réussite » et les sauvaient de ce
ressentiment dont les lutteurs intersectionnels attendaient tant de bonnes
destructions, les « jeunes » étaient à cran. Encore une fois, hurla
le Camp du Bien, « nos » jeunes sont les victimes d’un système
raciste ! Pourquoi leur fait-on subir cet apartheid ? Phénomène
nouveau : leurs voix tombèrent à plat et personne ne fit mine d’avoir
entendu. Le coronavirus avait déjà commencé à rebattre le jeu des valeurs.
Dès le 20 avril, les émeutes de 2005 ne furent plus que le
souvenir d’une aimable bagarre. Se prenant pour des palestiniens enfermés à
Gaza, les caïds avaient rapidement suivi la voie ouverte par Daesh : du
trafic de drogue, ils étaient passés à la guérilla urbaine en moins d’un mois. Il
faut dire que la reconversion était facile : les outils étaient les mêmes
et la pyramide de deal déjà organisée comme une milice depuis toujours. A Vaulx-en-Velin
comme dans plusieurs villes de banlieue, les « jeunes » avaient
terrorisé les populations et pris le pouvoir. Ils avaient décrété la charia et
accroché partout des drapeaux de l’Etat islamique. Les anciens, ceux qui auraient
pu les ramener à la raison, étaient tous morts : depuis trois semaines,
plus personne n’entrait ou ne sortait des quartiers, vif ou mort.
Le 30 avril, l’Etat français hésitait : envoyer l’armée
pour rétablir l’ordre au risque de milliers de morts supplémentaires, d’un
réveil du virus et d’un procès en néo-nazisme ? Ou négocier ?
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